Regarde son enfant dans le salon, dansant sur la musique d’Interstellar,
c’est la nuit maintenant,
la brume de novembre
pense aux enfants dehors, que l’Etat laisse, à tous celles et ceux qui ferment les yeux,
pense à allumer la radio et à l’éteindre presque aussitôt,
au service public, elle a presque oublié ce que ce mot dit dans la réalité,
se dit qu’il y a un paquet de cinglés au pouvoir agglutinés dans le même moment,
se demande comment ?
Comment on fait pour ne plus vivre la boule dans la gorge ?
Comment ?
Pense à celles et ceux qui sont dans la machine à laver du trou noir,
Il s’appelle Sagittarius + dans notre galaxie, il se loge en son cœur,
se dit que décidément le pays de la rillette aura bouché les artères de certaines,
L’overdose de rillette, en Sarthe, on le sait, c’est propice à des dérapages dignes des Bugatti sur un circuit des 24 heures détrempé.
Le problème, c’est pas la vitesse avec les bolides, c’est le virage.
Y’a ceux – ou celles ? – qui anticipent, qui visualisent,
et puis les rares, mais pourtant démonstratifs, d’ailleurs on n’entend parler que d’elles, d’eux, à la télévision le soir sur TF1,
Le spectaculaire, c’est ce qu’on retient au journal télévisé, le spectaculaire.
Celles et ceux qui accélèrent trop vite à ce putain de virage à 90 degré des Hunaudières, c’est un putain de virage, 90 degrés, vraiment 90 degrés, à
Combien ?
A combien ils arrivent sur le virage ?
La décharge d’adrénaline à ce moment, ça doit être immense, jouissif même, de la jouissance pure, et après ?
les barrières de sécurité, la toile froissée, arrachée sur les glissières, une équipe en lambeau, les dégâts collatéraux, et je ne parle pas du ou de la pilote.
Elle s’appelle Christelle Morançais.
Elle est née en Sarthe, comme moi.
En 1975, comme moi.
On aurait pu fréquenter le même lycée, ou être copines à l’époque.
Ou avoir le même amoureux
Moi aussi, j’aimais bien la vitesse, les bagnoles, les couilles et tout ce milieu.
Et puis j’ai rencontré des gens, des gens qui m’ont parlé.
Vraiment parlé je veux dire. Qui se sont adressés à moi.
Qui m’ont considérée comme un être humain.
Ok, ils elles étaient un peu cabossés par la vie, mais vivants et humains,
Ils-elles ont changé ma trajectoire.
Ils-elles m’ont appris à parler, à nommer les choses.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », Albert Camus.
Ahlala ! ça y est, Camus… !
Tranquille Nénette, et tu vois, j’y ajoute une majuscule, parce que j’ai toujours considéré mon adversaire. Je sais aujourd’hui ton visage.
Il a quasi le mien.
Je t’invite, Christelle Morançais, toi qui aimes si bien te mettre en scène,
avec ton joli courrier entête photocopié à la va-vite, avant même que le budget 2025 ne soit voté par le conseil régional des Pays de La Loire (déni de démocratie ? tiens, ça me rappelle un pote à toi), donc ce petit courrier envoyé sans même un petit mot personnalisé, rien, il faut boucler ça administrativement vite, et leur coller une putain de douche froide à ces cultureux ces associateux ces sporteux ces égaliteux.
La rillette, vite, bordel, la rillette.
« Je préfère avec de la moutarde, plutôt que du cornichon.
Et toi Christelle ? »
T’imagine, on pourrait se faire une lecture de Oh les beaux jours de Samuel Beckett, tranquilles, en bouffant une tartine de rillettes du Mans, ou bien toujours avec cette même tartoche, éplucher le budget 2025 de la région Pays de la Loire, et ça se trouve même que piquée par l’acidité du cornichon, des larmes te viendraient aux yeux, d’acidité du condiment, hein je précise, n’empêche peut-être quelque chose en toi te piquerait enfin, brouillerait ta vue déformée pour la reformer, et voir que derrière ces chiffres et ces pourcentages que tu traites à la va-vite, il y a des professions, des emplois, des personnes, des familles, un tissu sociétal, tu sais 1€ investi dans la culture c’est 5 à 6€ de bénéf… bref tu la connais la rengaine. Mais tu t’en contrefous.
Christelle Morançais, j’ai fui la Sarthe, comme toi sans doute, mais je sais d’où je viens, ce pays-là, rugueux et difficile, ce pays fait de tracteurs, de bagnoles, de grèves de 1985, on avait 10 ans, tu t’en souviens ? 3 semaines aux usines Renault, c’est noël bientôt, il n’y aura rien cette année, j’apprends c’est quoi faire grève, la honte, parce que personne à l’école à part moi n’a un père qui tient un piquet de grève. J’ai 10 ans, j’apprends à observer et à fermer ma gueule. Le vertige, l’injustice, l’inquiétude des familles, l’incompréhension, à 10 ans je sais déjà ça.
Je te jure, Christelle, j’ai couru, j’ai essayé de partir loin, parce que c’était trop dur d’être une fille, une femme là-bas. En tant qu’être de sexe féminin, j’avais le choix entre être un tank ou une serpillière. Et vomir à la place de parler.
Je trace une troisième voie.
Doucement, intensément.
Celle que tu ne connais pas.
Tu n’as même pas idée de ce que ça coûte
Mais c’est mon choix, celui de rassembler ce en quoi j’ai cru enfante, malgré tout.
Je l’ai puisé dans les animaux, les petits matins de ceux qui se lèvent tôt, dans le courage et la détresse de celles et ceux qui n’ont pas voix au chapitre.
Malgré toutes les injonctions de tous bords. Et il y en a. De sévères. Tu les connais aussi. C’est à elles que tu obéis. Un tank est piloté. Une serpillière manipulée.
A quel moment c’est toi qui parles ?
Alors je te propose, Christelle Morançais, de venir sur mon terrain, rien qu’une journée.
Que je t’entende parler, mais sur mon terrain. Avec mes codes. Tissés patiemment et modestement au gré de la culture et de l’éducation populaire.
Essaie. Ça sonnera autrement, assurément. Tu te verras, en loupe. C’est l’effet de réel de la scène, vertigineux. Toi qui aimes l’adrénaline et les effets de style… peut-être même que ton discours sur la culture etc… sur scène ça donnerait un sketch des Deschiens.
Et puis pour peaufiner et se marrer de sa propre ineptie, allez on s’octroie une semaine. (C’est que la carapace est coriace, va falloir être patiente. Mais patiente, c’est ma plus grande qualité).
Se battre, mais à la régulière, bordel.
Bon
J’y vais
Y’a la soupe à réchauffer et la pizza à servir aux mômes qui reviennent du foot.
J’aurais toujours une tendresse immense pour les rillettes de mon enfance.
02/12/2024